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Christoph Bosshard
27.06.2025

L’incapacité de travail attestée: routine ou casse-tête?

Chaque jour, nous évaluons la capacité de travail de nos patients et patientes dans le cadre de nos consultations. Peut-on maîtriser toutes les conséquences d’une attestation d’incapacité, comme celles liées à une ordonnance médicale? Connaissons-nous, par ailleurs, ces conséquences? Qu’en est-il de l’intégration de cette évaluation dans le processus de guérison?

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Table des matières

Auteur

Christoph Bosshard, Médecine des assurances de la Suva

Qui ne connaît pas cette situation? Les vacances sont imminentes et l’excitation est grande – plus que quelques jours de travail... Et c’est là qu’un virus sournois nous tombe dessus, à quelques mètres de la ligne d’arrivée. Pitié, pas maintenant! Espérons que cela passe vite. Si ce n’est pas le cas, nous allons consulter le médecin. Avec grand sérieux, on nous exhorte alors à prendre soin de nous et à faire une pause dans notre vie quotidienne. Mais ce n’est pas vraiment ce que nous avions prévu ou voulu.

Dans la plupart des cas, ces situations ne durent heureusement pas longtemps. Mais que se passerait-il si c’était le cas? Quelles idées, quelles craintes s’emparent de nous en cas d’absence prolongée, lorsque nous nous retrouvons sans notre environnement professionnel habituel, sans nos collègues et nos journées structurées? Trouverons-nous encore des rôles et des fonctions adaptées à nos souhaits et nos attentes? Ou, plus concrètement: dans le pire des cas, pourrais-je encore nourrir ma famille? Vais-je pouvoir continuer de pratiquer mes loisirs préférés? Quelle est ma valeur?

Sur quelles bases formelles nous, médecins, nous appuyons-nous?

Fort heureusement, la réalité est souvent bien plus clémente que ce à quoi nous nous attentions. Mais si l’on souhaite rester sur le terrain de la réalité: au-delà des points essentiels que nous venons de mentionner, connaissons-nous suffisamment les bases formelles d’une incapacité de travail attestée dans le quotidien des médecins et dans notre spécialité médicale d’origine, dans le contexte desquelles nous devons apporter nos connaissances médicales? Il n’est pas facile pour nous, de par notre bagage scientifique de médecins, d’adopter un mode de pensée juridique. C’est pourquoi le Tribunal fédéral, dans son arrêt 9C_850/2013 12.06.2014  du 12 juin 2014, a précisé les rôles et attribué au corps médical la tâche d’évaluer la capacité de travail liée à la santé et ses limitations. Cette évaluation constitue l’une des nombreuses bases de décision à prendre en considération par l’instance d’application du droit dans la détermination de l’incapacité de travail (IT). Elle consiste à comparer les capacités fonctionnelles d’une personne concernée aux exigences du poste de travail ou d’une activité spécifique. Pour les médecins en charge de l’évaluation, la difficulté réside dans la bonne connaissance de l’activité de leurs patients et patientes afin de pouvoir procéder à des évaluations solides de leur capacité de travail. Dans son arrêt du 24 mars 2025 8C_439/2024 24.3.2025 , le Tribunal fédéral précise également que l’évaluation de l’état de santé et de la capacité de performance associée relève de la seule compétence du médecin. Par conséquent, cette mission ne peut pas non plus être déléguée à d’autres professions de santé. Dans ce contexte, les exigences juridiques ne nous facilitent pas la tâche. L’article 7 alinéa 2 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA)  prescrit ainsi que les facteurs sans liens avec la maladie ou l’invalidité, tels que l’âge, la situation sociale et culturelle ou les déficits de langage, ne peuvent pas être pris en compte. Or, cela va à l’encontre de l’article 8 lettre f de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires (LPMéd) , selon laquelle ces aspects doivent explicitement être intégrés à la compréhension du problème de santé. Cela fait un certain temps que cette contradiction exige des clarifications. Sur ce point, le Tribunal indique dans l’ ATF 127 V 294  que: «la reconnaissance d’une invalidité demande, en tout état de cause, un substrat médical qui a été constaté de façon concluante par un médecin (spécialiste) et dont il est prouvé qu’il diminue de manière essentielle la capacité de travail et de gain. Plus les facteurs psycho-sociaux ou psycho-culturels sont prédominants dans un cas donné et contribuent à l’ensemble des troubles de la personne, d’autant plus prononcée doit être l’existence d’un trouble psychique ayant valeur de maladie et dûment constaté par un médecin spécialiste.»
«De tels troubles psychiques, qui doivent être distingués de la situation de stress socioculturel et qui, dans ce sens, sont autonomes et ont des répercussions sur la capacité de travail et de gain, sont indispensables pour que l’on puisse parler d’invalidité. En revanche, lorsque l’expert ne relève pour l’essentiel que des constatations qui trouvent une explication suffisante dans les circonstances psychosociales et socioculturelles, qui se fondent en quelque sorte dans ces dernières, il n’y a pas d’atteinte à la santé psychique invalidante.» (E. 5)

Suite à la jurisprudence sur les indicateurs du 3 juin 2015 141 V 281 - Tribunal fédéral suisse , l’arrêt du 4 mars 2025 8C_481/2024 4.3.2025  5.2.1. stipule: ‘Certes, les troubles psychiques ayant valeur de maladie ainsi que les aspects psychosociaux et socioculturels se recoupent souvent. Il convient toutefois d’examiner, dans le cadre de la procédure probatoire structurée introduite par l’ATF 141 V 281 si l’on est en présence d’une atteinte à la santé devenue autonome, en évaluant les circonstances concernées et leur évolution en tant que ressources ou facteurs de charge dans les ensembles «personnalité» et «contexte social» (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2 f.) (cf. ATF 143 V 409 consid. 4.5.2).’

Mais qu’en est-il de la réalité médicale?

Nous ne parlons pas ici des situations fréquemment rencontrées dans la pratique médicale quotidienne de patientes et patients souffrant d’un problème de santé aigu, mais de situations qui deviennent chroniques.

Le fait que l’incapacité de travail puisse aussi rendre malade – avec des co-morbidités psychiques importantes – est à prendre au sérieux, d’autant plus que cet effet apparaît dès qu’une absence du travail pour raison de santé dure plus de trois semaines. Pour éviter cette conséquence autant que possible, il convient d’accorder la même vigilance à une attestation d’incapacité de travail qu’à une ordonnance médicale lorsque la situation l’exige. Lorsque nous prescrivons des médicaments, nous tenons compte du type de traitement, de la posologie, des effets secondaires et des interactions. Il en va de même avec l’incapacité de travail: si elle s’élève à 100 pour cent, il convient de tenir compte des effet secondaires causés par la perte de journées structurées et des fonctions antérieures. Il convient donc de viser un retour au travail dans les plus brefs délais possibles, une augmentation de la charge de travail n’étant prise en compte qu’ensuite. Dans ce cas de figure, il est possible d’opter pour une attestation d’incapacité partielle de temps de travail. Cela permet de retrouver le plus rapidement possible des journées structurées et d’éviter l’appréhension croissante du retour au travail. Même les petites activités, de surveillance ou d’encadrement par exemple, s’avèrent très utiles et renforcent à la fois la compréhension de son propre rôle et l’estime de soi. Cette démarche permet aussi aux employeurs et aux collègues de soutenir la personne malade ou accidentée dans sa réintégration. Dans le cas d’une attestation d’incapacité partielle de travail, il convient de préciser les ordres de grandeur «temps» et «charge de travail».

Par exemple, une présence à 50 pour cent associée à une charge à 50 pour cent de l’activité antérieure donne une capacité de 0,5 x 0,5 = 0,25, ce qui correspond à une incapacité de travail de 75 pour cent. Concernant la charge de travail, les employeurs apprécient beaucoup les indications les plus concrètes possibles dans le contexte de l’activité professionnelle antérieure. Les médecins doivent quant à eux veiller à ne pas indiquer de diagnostics ou de références à des diagnostics dans le certificat d’incapacité de travail.

Le rôle important de l’employeur

Il faut ensuite que l’employeur soit prêt et en mesure de soutenir la personne concernée dans sa réinsertion progressive. Il s’avère déjà difficile de compenser une absence, et voilà qu’il faut aussi aménager un poste de travail spécial. Les employeurs doivent eux aussi relever ce défi social, car leurs collaborateurs et collaboratrices représentent une ressource stratégique et essentielle. Idéalement, ils profitent eux aussi directement de cet engagement, d’une part avec la disponibilité plus rapide de l’employé, mais aussi grâce à la réduction des indemnités journalières associées selon la LAA. Pour les moyennes et grandes entreprises, celles-ci se répercutent sur la prime à payer sous la forme d’une réduction du volume de cas.

Conclusion

L’attestation d’une incapacité de travail est certes une tâche complexe pour les médecins, mais lorsqu’elle est bien utilisée, elle présente également des effets positifs pour les patientes et les patients. C’est pourquoi il convient de traiter un arrêt de travail comme une ordonnance de médicament:

  • la décision doit reposer sur des bases solides.
  • Le règlement doit être fondé sur une approche claire. Plus qu’un objectif, la reprise progressive du travail constitue un élément thérapeutique important de la réhabilitation et de la réinsertion – qui se déroulent généralement de manière continue.
  • Il faut prendre en compte les effets indésirables de l’absence de poste de travail.
  • De plus, le déroulement de la réinsertion doit lui aussi faire l’objet d’une étroite surveillance, et l’attestation d’incapacité de travail doit également être adaptée si nécessaire.
  • Des temps de présence aussi longs que possible (en adaptant l’intensité de la charge de travail) facilitent le maintien d’un contact étroit entre le patient ou la patiente et ses collègues de l’entreprise.

Dans les situations difficiles, l’appréciation de l’incapacité de travail peut également être confiée au service de médecine des assurances du répondant des coûts concerné ou – en concertation avec lui – à un autre centre d’observation.

Nous nous ferons un plaisir d’aborder ce sujet important en détail lors de notre conférence du 12 septembre 2025 à la Welle7 de Berne. Différents points de vue y seront exposés et du temps sera consacré aux questions et aux échanges. Je me réjouis d’ores et déjà d’une participation importante et de discussions animées!

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Traitement des cas, Activités spécialisées
Dr. med. Christoph Bosshard
Laupenstrasse 11
3008 Bern

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