Boog Martin
Depuis quelque temps, certains cantons ont entrepris de définir des listes d'interventions à réaliser en ambulatoire et de les introduire avec différentes variantes d'application. Les cantons de Lucerne et de Zurich, qui figurent parmi les premiers cantons à avoir introduit la règle «l'ambulatoire avant le stationnaire» («AaS»), sont cités en exemple. Le canton de Lucerne applique un système comportant l’octroi préalable de garanties de prise en charge ainsi que des contrôles intervenant rapidement, lors de la facturation des hôpitaux au canton. Quant au canton de Zurich, il fixe pour chaque hôpital des quotas ambulatoires à remplir, et il exige des établissements hospitaliers qu'ils consignent les causes ayant conduit à un séjour stationnaire. Les contrôles électroniques ont lieu rétrospectivement. Le canton de Lucerne a lancé son programme le 1er juillet 2017 avec une liste de treize interventions [1]. De son côté, le canton de Zurich a choisi d'introduire le sien le 1er janvier 2018. Les cantons du Valais et de Zoug ont annoncé récemment l'introduction d'une liste harmonisée avec ses pendants zurichois et lucernois et d'une variante d'application s'inspirant du canton de Lucerne. Les cantons ont défini des critères pouvant justifier une intervention stationnaire.
La règle «l'ambulatoire avant le stationnaire» définie par la Confédération est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Le Département fédéral de l'intérieur a décidé que les six groupes d’interventions suivants ne sont désormais pris en charge qu’en ambulatoire:
Une exception à cette règle peut être faite uniquement en présence de circonstances particulières exigeant un traitement en milieu hospitalier en vertu l'Ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins, OPAS, art. 3c et annexe 1a, tableau II [2].
Dans une étude publiée en 2016 («Ambulatoire avant stationnaire. Ou comment économiser un milliard de francs chaque année») [3], PricewaterhouseCoopers (PwC) a fait la lumière sur cette question et fourni une importante base de discussion pour de nombreuses parties prenantes. PwC a identifié des différences de coûts marquantes pour treize interventions chirurgicales sélectionnées qui peuvent être réalisées avec le même niveau de qualité en ambulatoire comme en stationnaire.
Les constatations découlant de cette étude sont en substance les suivantes :
De nombreux cantons se sont appuyés sur cette étude de PwC pour introduire la règle «l'ambulatoire avant le stationnaire».
En 2019, PwC a publié une autre analyse intitulée «Ambulantisierung - das Gesundheitswesen im radikalen Wandel» (en allemand) [4]. Selon cette analyse, la tendance à privilégier l’ambulatoire par rapport au stationnaire a marqué le secteur suisse de la santé, et cet effet ne semble pas près de fléchir. PwC s'attend au contraire à une accentuation de cette tendance au cours des prochaines années du fait de la pression économique croissante subie par les fournisseurs de prestations.
Par ailleurs, PwC attire l'attention sur les incitations inopportunes du système, qui empêchent le développement durable d’une dynamique propre au processus du transfert vers l’ambulatoire.
Toute solution durable passe nécessairement par les deux étapes suivantes :
L'Office fédéral de la santé publique (OFSP) a chargé l'Observatoire suisse de la santé OBSAN d'évaluer le potentiel de passage du stationnaire vers l'ambulatoire et les répercussions d'un tel transfert sur les coûts de la santé [5]. Ce mandat a été attribué dans le cadre du projet de modification de l'annexe 1 de l'Ordonnance sur les prestations dans l'assurance obligatoire des soins en cas de maladie (OPAS). La modification prévue vise à favoriser le passage du stationnaire à l'ambulatoire pour six groupes d'interventions chirurgicales. Ce mandat doit apporter la transparence nécessaire et une base factuelle dans la discussion autour du régime «l’ambulatoire avant le stationnaire».
L’OFSP a ainsi défini deux critères pour juger si un cas est transférable : la durée de séjour est d'une ou deux nuits au maximum, et il n'y a pas de complication ni de comorbidité, ce qui signifie que le niveau de complexité clinique du patient (PCLL, Patient Clinical Complexity Level) est égal à zéro.
L'étude analyse le nombre de cas hospitaliers et ambulatoires et les coûts d'interventions chirurgicales définies. Elle parvient aux résultats suivants:
En raison des différences dans les clés de financement, le transfert de prestations vers l’ambulatoire peut apparaître, en première lecture, comme un transfert de coûts vers l’AOS (assurance obligatoire des soins). L'assurance maladie prend en charge 100 % des dépenses ambulatoires, contre 45 % lorsque les interventions sont réalisées en stationnaire. Toutefois, les interventions ambulatoires sont en général moins coûteuses que les interventions stationnaires de sorte que, selon l’ampleur des différences de coûts, qui sont parfois très importantes, 100 % des coûts ambulatoires peuvent représenter un montant plus faible que 45 % des coûts stationnaires. Par conséquent, l’impact sur les coûts doit être estimé séparément pour les cantons et pour l’AOS.
Pour les interventions analysées, l’effet sur l’AOS est quasiment neutre du point de vue financier : il ne faut pas attendre d’économie ou de surcoût important de cette mesure. Les 90 millions de francs d’économie se feraient principalement par le biais des cantons.
Par ailleurs, l'OBSAN a procédé, pour les six groupes de prestations chirurgicales, à une analyse dans une perspective cantonale en tenant compte de la modification de l'OPAS et en se basant sur les années 2013 à 2016 [6].
Il est apparu que la majorité des interventions sont déjà réalisées en ambulatoire. Dans certains cantons, la proportion d'interventions ambulatoires est deux fois plus élevée que dans d'autres. Dans le canton du Jura, par exemple, elle est deux fois plus élevée (84 %) que dans le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures (42 %). Les cantons de Suisse romande présentent les proportions d’interventions réalisées en ambulatoire les plus élevées et dépassent la moyenne suisse. Ce résultat cadre avec le fait que le virage ambulatoire a été amorcé plus tôt en Suisse romande qu’en Suisse alémanique.
L'étude montre en outre qu'il subsiste un potentiel de transfert élevé. Selon le canton, entre 55 % et 80 % des interventions stationnaires analysées pourraient être réalisées en ambulatoire. Les économies potentielles diffèrent d'un canton à l'autre.
Dans la LAA et la LAM, l'exigence essentielle d'un financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires est remplie puisque, dans ces deux domaines de prestations, les assurances financent ces dernières à raison de 100 % dans un système moniste.
Les assureurs-accidents comme l'assurance militaire soulignent que, du fait de la base légale (principe de la prestation en nature), la règle plaçant l'ambulatoire avant le stationnaire est déjà appliquée individuellement par les assureurs, et continuera de l'être, pour toutes les interventions.
La Commission des tarifs médicaux LAA (CTM) se fonde sur la liste des interventions du Département fédéral de l'intérieur DFI figurant dans la LAMal pour garantir une application uniforme. Les assureurs-accidents sont concernés au premier chef par les arthroscopies du genou, y compris opérations du ménisque.
Pour pouvoir affiner les analyses et s'exprimer à propos de la structure quantitative et de l'économie potentielle, le Service central des tarifs médicaux LAA (SCTM), en sa qualité d’organe opérationnel de la CTM, s'est appuyé sur les décomptes de la Suva pour 2016 et 2017. Il en est résulté un «top 20 du DRG» avec, en tête, le code DRG I18B (arthroscopie y compris biopsie ou autres interventions sur les os ou articulations).
Ramené aux codes CHOP pour la méniscectomie du genou, on constate une économie potentielle de 54 % par cas selon que celui-ci est traité en stationnaire ou en ambulatoire, comme l'illustre schématiquement le tableau ci-dessous:
Le SCTM a aussi examiné d'autres interventions sur les tissus mous. L'opération de la hernie inguinale figure en sixième place du top 20. Cependant, une analyse plus précise a montré que ces opérations comptent généralement parmi les cas complexes et sont parfois même bilatérales, ce qui s'oppose à un transfert vers l'ambulatoire. Le groupe des opérations simples et unilatérales de la hernie inguinale ne totalise qu'un nombre relativement faible de cas.
Aucune autre intervention sur les tissus mous n'ayant pu être clairement attribuée à un groupe d'interventions, il a été renoncé pour l'instant à une analyse plus approfondie.
Pour ce qui est de l'ablation de matériel d'ostéosynthèse (AMO), il y a lieu de penser que les AMO simples sont d'ores et déjà réalisées en ambulatoire et que le médecin définit le type de séjour en fonction du risque, de l'âge, de la localisation, de la complexité ou des circonstances sociales. Aussi a-t-il été également renoncé pour l'instant à une analyse approfondie des AMO.
La CTM, en tant que représentante des assureurs-accidents, a opté pour une introduction successive des interventions qui concernent la LAA. Vu le volume calculé, le groupe d'interventions des arthroscopies du genou, y compris les opérations du ménisque, se prête à une introduction uniforme. Du point de vue médical, ce groupe est également jugé très aisé à délimiter notamment en ce qui concerne le codage.
Les interventions du groupe «arthroscopies du genou, y compris opérations du ménisque» comprennent les codes CHOP suivants et doivent être en principe réalisées en ambulatoire depuis le 1er septembre 2019:
80.26.00 |
Arthroscopie genou, SAP |
|
---|---|---|
80.26.10 |
Arthroscopie diagnostique, genou |
|
80.26.99 |
Arthroscopie genou, autre |
|
80.6X.00 |
Méniscectomie du genou, SAP |
|
80.6X.10 |
Méniscectomie du genou, sous arthroscopie, partielle |
|
80.6X.11 |
Méniscectomie du genou, sous arthroscopie, totale |
|
80.6X.99 |
Méniscectomie du genou, autre |
|
80.86.11 |
Débridement de l’articulation du genou |
|
80.86.13 |
Excision de kyste méniscal de l’articulation du genou |
L'assurance militaire, qui a entrepris la mise en œuvre dès le 1er janvier 2019, s'appuie sur l'ensemble de la liste de l'OFSP, car elle prend également en charge les cas de maladie.
Il existe différentes possibilités pour contrôler le respect des exigences. Dans les explications de l'OFSP concernant les modifications de l'OPAS [7], les deux variantes ci-après sont décrites, avec leurs atouts et leurs faiblesses.
Variante 1: autorisation préalable de l'assureur
Lorsqu'il est prévu de réaliser une intervention élective en mode stationnaire, une demande de garantie de prise en charge des frais est toujours adressée préalablement à l'assureur-maladie, qui doit donner son autorisation. Lorsque l'un des critères énumérés est rempli, la garantie de prise en charge peut être accordée sans examen approfondi du cas. Sinon, une demande motivée peut être envoyée à l'attention du médecin-conseil. La nécessité de demander préalablement une garantie de prise en charge est inscrite dans l'OPAS.
Variante 2: contrôle ultérieur des factures et procédure préalable de garantie de prise en charge pour les cas spéciaux
Les cas qui requièrent un traitement hospitalier et remplissent l'un des critères de la liste de référence de l'OPAS peuvent être traités sans qu'une garantie de prise en charge soit demandée préalablement à l'assureur. Le fournisseur de prestations doit dûment documenter le respect des critères et procéder au codage correspondant.
Pour les cas non couverts par les critères énumérés dans la liste de référence de l'OPAS, une garantie de prise en charge doit être tout d'abord être demandée à l'assureur.
L'assureur-maladie contrôle les factures. Le service de réception des données des assureurs-maladie vérifie sans délai le respect des critères et la plausibilité des factures qui comportent des codes CHOP figurant sur la liste. Pour les interventions réalisées en stationnaire, il faut disposer soit des codes attestant le respect des critères, soit d'une garantie de prise en charge. Les factures ne comportant pas la documentation nécessaire sont écartées pour un contrôle individuel, et le fournisseur de prestations est prié de remettre un rapport.
Il incombe aux partenaires tarifaires de mettre le système en place. L'OPAS ne fixe pas d'exigences plus précises. Les assureurs-accidents ont à charge de procéder au contrôle des factures.
La CTM a opté pour la procédure de contrôle avec garantie préalable de prise en charge (variante 1). Les assureurs peuvent faire aisément face au surcroît de travail administratif par le biais des organisations déjà mises en place et des processus internes de contrôle des garanties de prise en charge.
En règle générale, le fournisseur de prestations fait parvenir à l’assureur aujourd'hui déjà une demande de prise en charge préalable pour les interventions électives qu'il a prévu d'effectuer en stationnaire. Pour les interventions d'urgence et celles exigeant un séjour hospitalier du fait de la situation peropératoire ou postopératoire, la demande de garantie de prise en charge peut être formulée après coup.
Dans sa demande de garantie de prise en charge, le fournisseur de prestations communique avec précision à l'assureur quels sont les critères spécifiques au cas exigeant une intervention en stationnaire. L'assureur vérifie si les conditions requises pour un traitement stationnaire sont remplies, autrement dit si au moins un des critères requis est rempli ou si d'autres circonstances spécifiques justifient le séjour hospitalier. Si tel est le cas, une garantie de prise en charge est accordée pour le traitement stationnaire. Si les circonstances spécifiques le permettent, il est néanmoins possible de procéder à un traitement ambulatoire même si le critère est satisfait. En cas de traitement stationnaire, l'hôpital doit conformément consigner les critères dans le dossier du patient.
La liste des critères d'exception figurant dans l'OPAS («Critères à satisfaire pour un traitement en milieu hospitalier») est déterminante pour l’examen d’une demande de prise en charge d’un séjour hospitalier.
Cette liste de critères n’est toutefois pas exhaustive. Cela signifie qu'en présence de circonstances particulières, un traitement stationnaire peut être pris en charge même si aucun des critères de la liste n'est rempli. Pour cela, une demande de garantie de prise en charge individuelle avec une indication médicale clairs (cf. art. 3c al. 3 OPAS) est nécessaire, de même que l'octroi par l'assureur d'une garantie de prise en charge explicite. D'autres motifs, par exemple des aspects organisationnels tels qu'un long trajet ou une heure d'opération tardive, ne suffisent pas à justifier un séjour hospitalier.
Il est à noter que des imprévus ou des complications peuvent survenir pendant les phases peropératoire ou postopératoire et exiger la poursuite du traitement en milieu hospitalier. De tels aspects doivent être documentés et codés dans le cadre du cas stationnaire et rémunérés par un forfait DRG.
Dans la perspective de l'introduction prévue de la règle «l'ambulatoire avant le stationnaire», le SCTM avait informé les assureurs-accidents et les fournisseurs de prestations suffisamment tôt pour qu'ils puissent intégrer au mieux les nouveaux mécanismes nécessaires dans les processus existants. Par ailleurs, la procédure de contrôle pour les cas LAA et LAM ainsi que les critères pour un traitement stationnaire, avec un renvoi à la grille de critères à appliquer selon l'OPAS, ont été expliqués dans une lettre d'information.
Fin juin, une première réunion ayant pour thème l'ambulatoire avant le stationnaire («AaS») a été organisée avec différentes parties concernées sous la direction de l'Office fédéral de la santé publique OFSP [8]. L'un des nombreux aspects discutés à cette occasion avait trait au problème général du financement de la formation. Les parties concernées s'accordent à dire que cette situation perdure depuis un certain temps déjà et est accentuée par l’«AaS». Former les gens nécessite du personnel supplémentaire pour la surveillance et plus de temps. Certaines interventions (notamment ambulatoires) ne couvriraient actuellement plus les coûts, de sorte qu'il n'y a plus de place pour une formation. Les aides cantonales à la formation sont jugées insuffisantes. Différentes cliniques cherchent et trouvent de nouvelles solutions pour rendre la formation plus efficiente (regroupement d'interventions, skill labs, etc.).
L'OFSP ne voit actuellement pas comment résoudre rapidement ce problème. Le concordat concernant la convention intercantonale sur le financement de la formation médicale postgrade constituerait un moyen d'avancer. Les aides cantonales à la formation pourraient alors être renégociées. Par ailleurs, l'OFSP estime qu'il est tout à fait possible de rendre l'enseignement plus efficient. D'autres réunions de ce groupe de travail sont prévues pour l'automne 2019.
Un autre groupe de travail institué sous l'égide de l'OFSP s'est penché sur l'aspect du monitorage de la règle «l'ambulatoire avant le stationnaire» [9]. L'objectif premier du monitorage de l’«AaS» est l'observation permanente des répercussions quantitatives et qualitatives de la règle inscrite dans l'OPAS sur
Le monitorage permet au DFI, aux cantons et aux partenaires tarifaires d'apporter une réponse adéquate aux effets observés.
S'agissant des sources de données (en particulier dans le domaine de la LAMal), il a été relevé que les données relatives aux traitements ambulatoires sont moins complètes et significatives que celles concernant les interventions hospitalières. De plus, il faut compter avec délai d'un à deux ans pour que des données officielles fiables et validées soient disponibles.
L'analyse du nombre des cas vise à renseigner sur l'évolution de la proportion d'interventions réalisées en stationnaire et en ambulatoire et sur d'éventuels autres effets de transfert, désirés ou non.
En outre, l'analyse des procédures de contrôle utilisées et de leur application doit fournir des enseignements sur les avantages et les inconvénients de la mise en œuvre sur le plan administratif et sur les améliorations possibles. Pour le groupe de travail, il serait intéressant de pouvoir en déduire quelle procédure (ex ante ou ex post) est plus efficace du point de vue de l'effet de transfert ou du travail administratif.
Le SCTM prévoit dans un premier temps un monitorage sur la base des données de l'assurance militaire, qui a entrepris la mise en œuvre dès le début de l'année 2019. L'analyse vise à déterminer si un effet de transfert du stationnaire vers l'ambulatoire est déjà perceptible pour les six groupes d'interventions imposés par le DFI et si les données disponibles permettent de formuler une assertion quant aux motifs de refus en faveur d'un traitement stationnaire. Les premiers résultats concernant ces évolutions possibles sont attendus à partir du printemps 2020.
Un monitorage «AaS» des données des assureurs-accidents et de l'évolution dans ce domaine sera probablement mis en place à partir du 2e trimestre 2020. Pour cela, il faut préalablement faire en sorte que l'ensemble des assureurs-accidents suisses fournissent au SCTM les données et les chiffres clés nécessaires pour que des analyses représentatives soient possibles. Par ailleurs, le SCTM prévoit également d'examiner si, du point de vue des assureurs-accidents, d'autres groupes d'interventions conviendraient pour compléter la liste actuelle.
Martin Boog
Service central des tarifs
médicaux LAA
martin.boog@zmt.ch